Aéroport d’Amsterdam. Je me souviens d’une porte ouverte, blanche, que devaient emprunter les passagers en transit pour les États-Unis d’Amérique. Je crois bien que c’était la porte du ciel, la porte de l’inconnu. Au-delà, rien ne serait plus jamais familier.
Je suis arrivé à l’aéroport de Savannah en fin d’après-midi, avec l’impression d’avoir atteri sur une autre planète. Une Noire toute ronde m’accueille en hurlant et gesticulant. Le ciel est bas, il pleut et un vent chaud et humide souffle sur les plaines. Les feux de signalisation dansent sur les cables d’acier. En chemin, je cherche la ville, espérant à tout moment apercevoir les gratte-ciel. Mais me voilà bel et bien à Savannah, petite, basse, perdue, désolée. Moi aussi je suis perdu, désolé, hébété par la traversée de l’Atlantique et le décalage horaire, déçu par cette ville qui n’en est pas une. Dans les dortoirs, je cherche un téléphone pour appeler la maison. A l’autre bout de l’univers, la voix familière et ensommeillée demande si tout va bien. Mais oui, maman, tout va très bien.
Tôt le lendemain, je quitte les dortoirs pour découvrir la ville. Le beau temps est revenu, et mes premiers pas sur Oglethorpe Avenue sont une révélation. Voilà enfin Savannah, avec ses avenues élégantes bordées de vieilles demeures néo-classiques, ses Noirs secs et ridés qui flânent dans les squares ombragés et sa mousse espagnole qui pend des arbres comme les larmes versées par ce Sud profond qui ne s’est jamais remis d’avoir perdu la guerre. Savannah est coquette, fière, bourgeoise, gothique, et sa réputation de ville historique au charme sudiste la précède aux États-Unis. Fondée en 1733 par James Oglethorpe sur la côte est de la colonie de Géorgie, elle échappe par miracle à la destruction par les troupes du Nord à la fin de la guerre de Sécession, et a donc conservé intact son centre-ville, le tout premier aux États-Unis à bénéficier d’un plan urbain, et aujourd’hui le plus grand site historique du pays. Les berlines y côtoient des calèches tirées par des chevaux pie harnachés de plumes et de grelots, transport touristique idéal pour admirer les 24 squares bordés de vieilles demeures en brique rouge et colonnes de marbre blanc.
Mais un jeune étudiant désorienté a de tout autres soucis en tête, notamment se remplir l’estomac. Sur Broughton Street encore déserte et mouillée (qui n’avait l’air de rien mais devait se révéler la principale artère commerçante de la ville), j’ai aperçu un Starbucks Coffee et s’est avec un grand soulagement que j’ai poussé la porte de ce lieu familier. C’est ici que j’ai observé pour la première fois l’Amérique blanche de Savannah: une Amérique cossue, confiante dans sa supériorité et ses traditions, lisant silencieusement le journal avant de se rendre au travail. Les hommes de cette Amérique-là ont des tignasses rousses ou blondes sagement ramenées sur le côté et portent des chemises Ralph Lauren aux tons neutres, bien serrées dans le pantalon. Les femmes ont les yeux clairs et bienveillants, le visage souriant et la coiffure démodée. Hommes et femmes sont Irlandais depuis plusieurs générations, votent Républicain et affectionnent les intérieurs chargés de bibelots et de tableaux de famille. Ils portent un léger embonpoint, dû à un penchant prononcé pour les deep fried chicken, fried pork, pancakes, sweaten tea, gritz et autres spécialités si riches du Sud. Comme on ne plaisante pas avec les bonnes mannières dans cette partie du pays, ils disent good morning en hôchant la tête quand ils vous croisent dans la rue, et indiquent cordialement le chemin avec cet accent typique du Sud qui consiste à allonger les voyelles, et que je trouvais tellement irritant.
Mais Savannah est aussi une ville noire, où les descendants des esclaves affranchis ont le visage pétri de misère et d’humilité. La pauvreté, le chômage et la criminalité sévissent dans certains faubourgs de la ville, et Blancs et Noirs se croisent dans la rue avec une sorte de méfiance qui ne dit pas son nom. Mais il est si facile de ne pas y penser, de ne pas voir; car Savannah est si belle sous le soleil, ses habitants si gentils et il y fait si bon vivre.
Dans cette ville de l’Amérique profonde, le temps semblait s’être arrêté et la vie s’écouler au rythme cadencé du pas des chevaux.
Je suis arrivé à l’aéroport de Savannah en fin d’après-midi, avec l’impression d’avoir atteri sur une autre planète. Une Noire toute ronde m’accueille en hurlant et gesticulant. Le ciel est bas, il pleut et un vent chaud et humide souffle sur les plaines. Les feux de signalisation dansent sur les cables d’acier. En chemin, je cherche la ville, espérant à tout moment apercevoir les gratte-ciel. Mais me voilà bel et bien à Savannah, petite, basse, perdue, désolée. Moi aussi je suis perdu, désolé, hébété par la traversée de l’Atlantique et le décalage horaire, déçu par cette ville qui n’en est pas une. Dans les dortoirs, je cherche un téléphone pour appeler la maison. A l’autre bout de l’univers, la voix familière et ensommeillée demande si tout va bien. Mais oui, maman, tout va très bien.
Tôt le lendemain, je quitte les dortoirs pour découvrir la ville. Le beau temps est revenu, et mes premiers pas sur Oglethorpe Avenue sont une révélation. Voilà enfin Savannah, avec ses avenues élégantes bordées de vieilles demeures néo-classiques, ses Noirs secs et ridés qui flânent dans les squares ombragés et sa mousse espagnole qui pend des arbres comme les larmes versées par ce Sud profond qui ne s’est jamais remis d’avoir perdu la guerre. Savannah est coquette, fière, bourgeoise, gothique, et sa réputation de ville historique au charme sudiste la précède aux États-Unis. Fondée en 1733 par James Oglethorpe sur la côte est de la colonie de Géorgie, elle échappe par miracle à la destruction par les troupes du Nord à la fin de la guerre de Sécession, et a donc conservé intact son centre-ville, le tout premier aux États-Unis à bénéficier d’un plan urbain, et aujourd’hui le plus grand site historique du pays. Les berlines y côtoient des calèches tirées par des chevaux pie harnachés de plumes et de grelots, transport touristique idéal pour admirer les 24 squares bordés de vieilles demeures en brique rouge et colonnes de marbre blanc.
Mais un jeune étudiant désorienté a de tout autres soucis en tête, notamment se remplir l’estomac. Sur Broughton Street encore déserte et mouillée (qui n’avait l’air de rien mais devait se révéler la principale artère commerçante de la ville), j’ai aperçu un Starbucks Coffee et s’est avec un grand soulagement que j’ai poussé la porte de ce lieu familier. C’est ici que j’ai observé pour la première fois l’Amérique blanche de Savannah: une Amérique cossue, confiante dans sa supériorité et ses traditions, lisant silencieusement le journal avant de se rendre au travail. Les hommes de cette Amérique-là ont des tignasses rousses ou blondes sagement ramenées sur le côté et portent des chemises Ralph Lauren aux tons neutres, bien serrées dans le pantalon. Les femmes ont les yeux clairs et bienveillants, le visage souriant et la coiffure démodée. Hommes et femmes sont Irlandais depuis plusieurs générations, votent Républicain et affectionnent les intérieurs chargés de bibelots et de tableaux de famille. Ils portent un léger embonpoint, dû à un penchant prononcé pour les deep fried chicken, fried pork, pancakes, sweaten tea, gritz et autres spécialités si riches du Sud. Comme on ne plaisante pas avec les bonnes mannières dans cette partie du pays, ils disent good morning en hôchant la tête quand ils vous croisent dans la rue, et indiquent cordialement le chemin avec cet accent typique du Sud qui consiste à allonger les voyelles, et que je trouvais tellement irritant.
Mais Savannah est aussi une ville noire, où les descendants des esclaves affranchis ont le visage pétri de misère et d’humilité. La pauvreté, le chômage et la criminalité sévissent dans certains faubourgs de la ville, et Blancs et Noirs se croisent dans la rue avec une sorte de méfiance qui ne dit pas son nom. Mais il est si facile de ne pas y penser, de ne pas voir; car Savannah est si belle sous le soleil, ses habitants si gentils et il y fait si bon vivre.
Dans cette ville de l’Amérique profonde, le temps semblait s’être arrêté et la vie s’écouler au rythme cadencé du pas des chevaux.