C’est l’été et les cours sont finis. La ville est brûlante sous le soleil d’août, et je sors faire une balade à vélo sur Bull Street, le coeur de Savannah, qui coupe en son centre Forsyth Park. La pelouse géante du parc grouille de familles blanches qui se prélassent sur l’herbe, de jeunes qui jouent au ballon et de chiens de toutes les tailles qui gambadent à leur côté. Un peu plus loin, de petites Noires hurlent sur la balançoire. Je contourne le monument aux Confédérés, puis la fontaine où tritons et cygnes en marbre blanc s’aspergent mutuellement. Son eau est teintée de vert durant les célébrations de la Saint-Patrick, qui rivalisent uniquement en importance avec celles de New York. Forsyth Park donne directement sur Monterey Square, l’un des squares les plus distingués de la ville, flanqué en son centre d’un monument en forme d’obélisque surmonté d’une mini- statue de la Liberté. Autour de ce square se trouvent d’élégantes maisons aux couleurs chatoyantes et aux balcons finement forgés. C’est ici aussi que se trouve Mercer House, riche demeure rendue célèbre par les excentricités de son ancien locataire, Jim Williams, dont les réceptions de Noël attiraient la belle société de Savannah. Mercer House fut le théâtre du crime qui est la trame du best-seller Midnight in the Garden of Good and Evil de John Brendt, et du film éponyme de Clint Eastwood. Toujours sur Bull Street, je passe devant Pœtter Hall, pittoresque bâtisse en brique, avec ses tourelles pointues et son imposante porte flanquée de canons, qui abrite aujourd’hui le département de Graphic Design du Savannah College of Art and Design. Face à lui se trouve le Scottish Rite Masonic Temple, très haute et impostante bâtisse à frises dorées et colonnes orangées à châpitaux corynthiens, que l’on peut apercevoir pendant le générique d’ouverture du film “Forrest Gump”.
Après avoir longé quelques cafés-trottoirs, je contourne Chippewa Square. En son centre, la statue en bronze de James Oglethorpe, premier gouverneur de Géorgie, est orientée vers le sud, comme pour défendre Savannah des Espagnols installés en Floride. Je passe devant le pittoresque Barber Pole, où l’on peut se faire offrire une coupe “maison” dans un décor au charme dépassé, ou se faire cirer les chaussures par un vieux Noir tout sec et ridé. Au niveau de Bay Street, la rue s’incline en pente douce, et il faut descendre à pied jusqu’à River Street. River Steet est le centre touristique de Savannah, une large rue pavée qui donne sur la rivière et qui fut le coeur économique de la ville. C’est ici que les navires importaient et exportaient leur marchandise, comme l’attestent les larges bâtisses en brique aux facades décrépies qui bordent la rue, et qui étaient destinées au stockage du coton. Aujourd’hui River Street offre une multitude d’attractions: les touristes s’arrêtent dans les restaurants de poisson, s’offrent une glace ou déambulent dans les nombreuses boutiques qui offrent poupées en jupons et crinolines, drapeaux confédérés, bateaux pirates minatures et autres souvenirs issus tout droit d’”Autant en Emporte le Vent”.
Mais la fatigue et la chaleur l’emportent, et je décide de retourner chez moi. Je passe devant Club One, le bar le plus excentrique de Savannah, où l’on peut parfois admirer les spectacles de Lady Chablis, un travesti devenu célébrité locale après avoir figuré dans Midnight in the Garden of Good and Evil et joué son prôpre rôle dans l’adaptation cinématographique. Sur Braughton Street, je m’arrête chez Leopold Ice Cream, une institution locale, paraît-il, pour une glace à la fraise et à la menthe avec pépites de chocolat, à consommer sur place. Il fait si chaud et cette glace interminable est un vrai bonheur. Sur le chemin du retour, au niveau de Oglethorpe Avenue, se trouve Drayton Tower. Ce bâtiment tout en verre et acier dâte des années cinquante et fut le premier en Géorgie à bénéficier de l’air-conditionné. La façade décrépie, le lobby et ses meubles fanés, tout suggère une gloire défunte. Drayton Tower contraste fermement avec l’architecture historique environnante, mais elle constitue aujourd’hui une institution locale au même titre que Mercer House ou le Bonaventure Cemetery. C’est dans ce dernier, au milieu des tombes flanquées de statues de pleureuses, que se trouvait la sculpture dite de la Bird Girl, rendue célèbre après avoir figuré sur la couverture de Midnight in the Garden of Good and Evil. Tellement célèbre qu’elle fut transférée dans un musée voisin.
Il paraît que la loi interdit de longer les squares, il faut les contourner; mais vlan, un bon coup de pédale et tant pis pour la loi, il fait trop chaud pour l’appliquer… Les buissons de magnolias et d’azalées sont en fleurs, de vieilles mamas noires en longues jupes fleuries et chapeaux de paille vendent des livres sur un banc; une jeune femme propose des limonades dans une roulotte, un vieil illuminé tout courbé arpente les rues en silence, brandissant des panneaux sur lesquels ont peut lire: “Washington plans te murder you” ou bien “Say yes to Jesus against the army of darkness”. Devant Mercer House, je dépasse les cars de touristes, puis une calèche tirée par de lourds chevaux noirs. “La vie doit être bien triste pour vous, j’ai pensé; mais tant pis car vous sentez mauvais”, alors vlan, un autre coup de pédale à travers Forsyth Park, cette fois en sens inverse. Les écureuils, les pigeons et les fillettes noires sautillent allègrement, et Savannah n’a jamais été plus belle et ses arbres plus verts et plus riants. J’arrive chez moi en nage; le jour tombe, il fait si lourd et si humide. Je ne voudrais surtout pas me trouver en ville la nuit. Bientôt, de gros cafards noirs vont sortir et grimper sur les bancs, et dans la lueur blafarde des réverbères, d’aucuns racontent avoir aperçu un esprit. Car Savannah est aussi la ville la plus hantée des États-Unis, littéralement bâtie sur ses cimetières, et abonde de récits d’outre-tombe. Les fantômes de ses soldats morts au combat, veuves éplorées, esclaves lynchés et autres amants maudits, peuplent squares et vieilles demeures.
Mais mon aventure sudiste allait bientôt s’achever: à la fin de l’été, je mettais les moteurs plein nord pour la grande ville.
Après avoir longé quelques cafés-trottoirs, je contourne Chippewa Square. En son centre, la statue en bronze de James Oglethorpe, premier gouverneur de Géorgie, est orientée vers le sud, comme pour défendre Savannah des Espagnols installés en Floride. Je passe devant le pittoresque Barber Pole, où l’on peut se faire offrire une coupe “maison” dans un décor au charme dépassé, ou se faire cirer les chaussures par un vieux Noir tout sec et ridé. Au niveau de Bay Street, la rue s’incline en pente douce, et il faut descendre à pied jusqu’à River Street. River Steet est le centre touristique de Savannah, une large rue pavée qui donne sur la rivière et qui fut le coeur économique de la ville. C’est ici que les navires importaient et exportaient leur marchandise, comme l’attestent les larges bâtisses en brique aux facades décrépies qui bordent la rue, et qui étaient destinées au stockage du coton. Aujourd’hui River Street offre une multitude d’attractions: les touristes s’arrêtent dans les restaurants de poisson, s’offrent une glace ou déambulent dans les nombreuses boutiques qui offrent poupées en jupons et crinolines, drapeaux confédérés, bateaux pirates minatures et autres souvenirs issus tout droit d’”Autant en Emporte le Vent”.
Mais la fatigue et la chaleur l’emportent, et je décide de retourner chez moi. Je passe devant Club One, le bar le plus excentrique de Savannah, où l’on peut parfois admirer les spectacles de Lady Chablis, un travesti devenu célébrité locale après avoir figuré dans Midnight in the Garden of Good and Evil et joué son prôpre rôle dans l’adaptation cinématographique. Sur Braughton Street, je m’arrête chez Leopold Ice Cream, une institution locale, paraît-il, pour une glace à la fraise et à la menthe avec pépites de chocolat, à consommer sur place. Il fait si chaud et cette glace interminable est un vrai bonheur. Sur le chemin du retour, au niveau de Oglethorpe Avenue, se trouve Drayton Tower. Ce bâtiment tout en verre et acier dâte des années cinquante et fut le premier en Géorgie à bénéficier de l’air-conditionné. La façade décrépie, le lobby et ses meubles fanés, tout suggère une gloire défunte. Drayton Tower contraste fermement avec l’architecture historique environnante, mais elle constitue aujourd’hui une institution locale au même titre que Mercer House ou le Bonaventure Cemetery. C’est dans ce dernier, au milieu des tombes flanquées de statues de pleureuses, que se trouvait la sculpture dite de la Bird Girl, rendue célèbre après avoir figuré sur la couverture de Midnight in the Garden of Good and Evil. Tellement célèbre qu’elle fut transférée dans un musée voisin.
Il paraît que la loi interdit de longer les squares, il faut les contourner; mais vlan, un bon coup de pédale et tant pis pour la loi, il fait trop chaud pour l’appliquer… Les buissons de magnolias et d’azalées sont en fleurs, de vieilles mamas noires en longues jupes fleuries et chapeaux de paille vendent des livres sur un banc; une jeune femme propose des limonades dans une roulotte, un vieil illuminé tout courbé arpente les rues en silence, brandissant des panneaux sur lesquels ont peut lire: “Washington plans te murder you” ou bien “Say yes to Jesus against the army of darkness”. Devant Mercer House, je dépasse les cars de touristes, puis une calèche tirée par de lourds chevaux noirs. “La vie doit être bien triste pour vous, j’ai pensé; mais tant pis car vous sentez mauvais”, alors vlan, un autre coup de pédale à travers Forsyth Park, cette fois en sens inverse. Les écureuils, les pigeons et les fillettes noires sautillent allègrement, et Savannah n’a jamais été plus belle et ses arbres plus verts et plus riants. J’arrive chez moi en nage; le jour tombe, il fait si lourd et si humide. Je ne voudrais surtout pas me trouver en ville la nuit. Bientôt, de gros cafards noirs vont sortir et grimper sur les bancs, et dans la lueur blafarde des réverbères, d’aucuns racontent avoir aperçu un esprit. Car Savannah est aussi la ville la plus hantée des États-Unis, littéralement bâtie sur ses cimetières, et abonde de récits d’outre-tombe. Les fantômes de ses soldats morts au combat, veuves éplorées, esclaves lynchés et autres amants maudits, peuplent squares et vieilles demeures.
Mais mon aventure sudiste allait bientôt s’achever: à la fin de l’été, je mettais les moteurs plein nord pour la grande ville.